samedi 4 juillet 2009

Le roi Rama IX


La Thaïlande vit sous un régime de monarchie constitutionnelle. Comme en Angleterre, le roi règne mais ne gouverne pas. Un gouvernement démocratique gère les affaires de l’État.

Bien des voyageurs qui sont venus en Thaïlande avec moi ont été surpris de la vénération que vouent les Thaïlandais à leur roi, Rama IX. Cette admiration est telle que quiconque se permettrait d’insulter la personne ou l’image du roi en public serait illico arrêté et sévèrement puni. On voit sa photo partout, on honore ses 8 prédécesseurs à qui on élève des autels et, à la télé ou au cinéma, pendant l’hymne national, on célèbre ses réalisations.

Palais Royal
Photo : Daniel Vézina

Rama IX, dont le règne est actuellement le plus long de ceux qui sont encore assis sur un trône, a su s’imposer par une vie irréprochable, sans jamais être sali par quelque scandale que ce soit, par un grand amour pour ses sujets, pour lesquels il dépense une grande partie de sa fortune personnelle, par une simplicité qui en fait un homme à qui tout le monde peut s’identifier (il joue du jazz à la clarinette, est un photographe expert et écrit même des livres populaires) et enfin par une personnalité calme, voire sévère. Lors de ses allocutions royales, il n’hésitera pas à donner des conseils au Gouvernement, qui les suivra. N’est-ce pas lui qui en 1992 a dénoué la crise lors de la Révolution de mai? Il a encore demandé à un Premier Ministre d’instituer une enquête sur des morts suspectes liées au combat contre la drogue et lui et son épouse s’impliquent dans le conflit qui perdure entre la Thaïlande et ses trois provinces musulmanes.

Il y a encore des royautés en Europe, il y en a quelques-unes en Asie et en Afrique. Je n’ai jamais eu d’admiration pour aucun de ces rois ni de ces reines. Force m’est cependant d’avouer que j’en ai pour le roi Rama IX.

jeudi 2 juillet 2009

L’actualité politique Thaïlandaise

La vie politique en Thaïlande est très active et d’un grand intérêt pour qui veut suivre l’évolution de la démocratie dans ce pays toujours considéré comme en voie de développement. Cet article a pour but de faire le point sur les événements des dernières années. Je suivrai la ligne directrice que me suggère la carrière de Thaksin Shinawatra, ci bas appelé Thaksin.

Il faut rappeler d’abord qu’en Thaïlande on vit sous une monarchie constitutionnelle, comprenant donc un Parlement élu démocratiquement. Le roi actuel a pour nom Rama IX (Bhumidol) et règne, sans gouverner, depuis plus de 60 ans

La démocratie a été proclamée officiellement le 24 juin 1933 en Thaïlande. Depuis, 24 Premiers ministres se sont succédé. Jusqu’en 1988 cependant, la plupart des Premiers ministres ont été placés au pouvoir par l’armée. Depuis cette date, seulement deux Premiers ministres n’ont pas été élus : le Général Suchinda Kraprayoon, février 1991- septembre1992; le Général Surayud Chulanont, du 1er octobre 2006 au 29 janvier 2008.

Thaksin Shinawatra

Fils d’une riche famille sino-thaïe (chinoise et thaïe), né dans la province de Chiang Mai, au nord de la Thaïlande, Thaksin, fait ses études en criminologie aux Etats-Unis et devient un haut gradé policier. Attiré par les affaires, il se lance en téléphonie et fait rapidement fortune pour devenir l’homme le plus riche du pays. Visant le pouvoir, il commence un parcours politique dès 1991. Élu député sous l’étiquette du parti Palang Dharma, il devient ministre puis Premier Ministre en 1997. La crise asiatique fait éclater son parti. Il en fonde un autre le Thai Rak Thai (ไทยรักไทย), ce qui veut dire « les Thaïs aiment les Thaïs ». Ce parti se veut démocratique et prétend lutter contre la corruption.

Premier mandat de Thaksin

Le 6 janvier 2001, son parti prend le pouvoir et il devient Premier Ministre. Sa victoire ne fait aucun doute. Il recueille le score le plus élevé jamais obtenu par une formation politique en Thaïlande. Il est aimé du peuple. Il est apprécié par la classe économique.

Son premier mandat est marqué par une série de mesures populaires : système de santé à bas prix pour les pauvres, prêt aux paysans, système de salaire minimal, électrification des villages reculés, indemnisation des victimes d’inondation et de glissement de terrains... À la demande du roi, il s’attaque au passage et au commerce de la drogue produite en Birmanie. Il doit faire face à un intégrisme musulman, souvent féroce, dans le sud du pays. Il a su très bien gérer la crise du tsunami.

Mais les critiques politiques l’ont assez rapidement taxé de «populiste». Ses mesures sociales n’étaient en effet que rarement suivies des réformes essentielles aux infrastructures pour permettre leur application. Sa lutte contre les passeurs de drogue lui valut les critiques des organisations mondiales des droits de l’homme car dans son empressement à régler la question, ses policiers ne distinguaient pas toujours les vrais passeurs des simples paysans. On le rend responsable de la mort d’environ 2000 personnes, ce qui lui valut le titre de Thaksinator. La vive répression qu’il fait exercer par l’armée dans le sud du pays n’a fait qu’attiser les passions, au lieu de régler le problème. Qui plus est, cet homme, le plus riche du pays, a des intérêts dans de très nombreuses compagnies. Il se trouve donc souvent en conflit d’intérêt et doit subir toutes sortes de procès dont il arrive à se sortir grâce à une batterie d’avocats qu’il peut fort bien payer.


Son second mandat

Il est réélu une deuxième fois le 6 février 2005, avec 60.7 % des voix. Il gagne 399 sièges sur les 500 que comporte la Chambre. Il peut alors gouverner en roi et maître. Il est bientôt accusé de graves conflits d’intérêt et il semble bien qu’il sera condamné cette fois. Il déclanche alors des élections anticipées le 2 avril 2006, pour prouver à la face de tous qu’il est un chef d’état apprécié. Les partis d’opposition refusent de participer à ce scrutin; il est évidemment réélu, mais la Commission électorale annule ce dernier scrutin pour ramener la chambre à l’état du 6 février 2005.

Ce qui a déclanché la grogne de bien des gens, c’est la vente de son réseau de téléphonie à des intérêts singapouriens et le dépôt de l’argent de la vente dans un paradis fiscal. Naît alors le PAD.

Le PAD contre Thaksin

Le PAD (l’Alliance du Peuple pour la Démocratie) réunit en fait les anti-Taksin. Ce n’est pas un parti politique, c’est un mouvement de contestation, proche de la royauté, voilà pourquoi ils revêtent un chandail jaune, réunissant des gens de tout azimut, qu’ils soient de droite ou de gauche, communistes ou capitalistes, royalistes ou démocrates. Tout ce qu’ils veulent c’est de débarquer Taksin qu’ils jugent corrompu et autocrate. Certains d’entre eux, les plus à droite, voudraient une démocratie «à la thaïlandaise» qui ne soit pas une copie du modèle occidental, qui renouerait avec la tradition.

L’opposition s’installe donc dans la rue et devient de plus en plus menaçante. C’est alors que l’armée intervient.

Le coup d’état du 19 septembre 2006

Ce jour-là, l’armée s’empare du pouvoir, sans coup férir, alors que Thaksin est à New York. Depuis il est demeuré en exil. Ce coup d’état, fomenté par le Général Sonthi Boonyaratkalin, ne fut condamné par la communauté internationale que du bout des lèvres. Il n’y a pas eu non plus de réactions violentes chez les partisans de Thaksin. Quant au Roi, il ne s’est pas officiellement mêlé de la situation.

Les militaires mettent en place, au bout de quelques jours, un gouvernement civil qui a comme mandat de préparer des élections avant la fin de 2007.

Un Gouvernement civil nommé par les militaires

Les putschistes nomment comme Premier Ministre, Surayud Chulanont, un général retraité, lequel a formé un Gouvernement en se choisissant des ministres parmi les personnalités thaïes qui n’avaient pas collaboré avec le régime renversé.

Ce Gouvernement s’est efforcé de bien gérer les affaires courantes et a acquis un certain respect. Il a dissous le parti de Thaksin, considéré désormais comme illégal. Une Commission s’est efforcée de démontrer les crimes de corruption de l’ex-premier ministre. Lui et sa femme furent condamnés in abstencia dans deux affaires différentes.

Ce Gouvernement a aussi réécrit et fait approuver par référendum, en y mettant tout son poids, une nouvelle constitution qui vise à diminuer la corruption. Par ailleurs, il n’a pas su juguler les violences qui sévissent toujours dans le sud du pays. Enfin, il a fait preuve de fair-play en laissant les partisans de Thaksin protester ouvertement contre lui.

Les élections du 23 décembre 2007

Les partis en présence

Selon The Nation (27-11-07) 41 partis participent à cette campagne électorale et 480 sièges sont à pourvoir. 3,879 candidats participent à la lutte, dont 3,227 hommes et 572 femmes.

Parmi les partis, deux seulement pourraient prendre le pouvoir, si l’on en croit les sondages publiés pendant la campagne. Le parti démocrate dirigé par Abhisit Vejjajiva et le parti du pouvoir du peuple (le PPP) dirigé par Samak Sundaravej. Le PPP, apparu très récemment, est formé de partisans du parti désormais interdit de Thaksin Shinawatra.

Voici le compte final des élections du 23 décembre où il y a eu une forte participation : 70.27%

Le Parti du Pouvoir du Peuple (PPP) 232 sièges
Le Parti Démocrate 165 sièges
Le Parti de la Nation Thaï 37 sièges
Le Parti de la Mère Patrie 25 sièges
Le Parti pour le Développement de l’Unité Nationale Thaïlandaises 9 sièges
Le Parti Démocratique Neutre 7 sièges
Le Parti Royal du Peuple 5 sièges


C’est, selon le PPP et la Presse Internationale, la victoire de Thaksin contre l’armée. Fort de cette victoire, l’ex-premier ministre annonce déjà son retour et comme il lui est interdit de faire de la politique active pendant cinq ans, il définit même son rôle : il accepterait devenir un conseiller politique du PPP.


La répartition géographique des votes est intéressante. Les Démocrates sont forts à Bangkok. Ils ont gagné 26 des 36 sièges. La classe intellectuelle, les étudiants, les citadins penchent pour le parti démocrate, alors que les paysans et les ouvriers appuient le PPP.


Le gouvernement de Samak

Suite à sa victoire mais n’ayant pas atteint le nombre de sièges suffisants pour former seul le Gouvernement (241 sièges), le PPP est, selon la Constitution, le premier partir à pouvoir chercher à faire des alliances avec les petits partis. Après bien des tractations desquelles sont exclus les députés du Parti Démocrate les petits partis se rangent du côté du PPP. La coalition, dominée par le PPP, élit alors Samak Sundaravej Premier Ministre.

Samak est un bon gros bonhomme débonnaire qui aime bien la vie et aime bien manger. Il est vraiment l’image de monsieur Tout le monde. Homme politique pourtant aguerri (il fut trois fois ministres puis Gouverneur de Bangkok), sa naïveté est sans égale. Dès le départ, il n’a pas la cote populaire. Un sondage révèle en effet que 52.2% des répondants auraient préféré comme Premier Ministre, Abhisit Vejjajiva, chef du Parti Démocrate, à Samak Sundaravej, qui ne récolte que 39.1% des répondants.

Et bien des dangers planent sur la tête de ce nouveau Gouvernement.

L’opposition, tant au Parlement qu’en dehors du Parlement, accuse le PPP d’être la réincarnation de l’ancien parti de Thaksin, banni de la vie politique par le Gouvernement militaire ce qui en amène certains à proposer la radiation pure et simple du PPP.

Samak est donc perçu comme la marionnette de Thaksin qui de son exil gère le pays, nomme les Ministres et dicte ses lois. Plane alors le danger d’une invalidation par la Cour Suprême des élections basée sur le fait que le PPP ne serait qu’un prête-nom du parti de Taksin, le parti Thai Rak Thai, déclaré illégal par le Gouvernement mis en place par l’armée.

Reprennent aussi les manifestations de rues organisées par le PAD pour dénoncer ce gouvernement «illégal» et sa corruption, manifestations qui pourraient dégénérer. Mais l’armée est bien décidée à laisser la chance au coureur.

On craint enfin pour la Démocratie car le nouveau Gouvernement prépare une loi pour changer la Constitution qui avait été votée pendant la prise de pouvoir par les militaires. Cette loi, visant surtout les partis politiques, ferait revenir le pays à la Constitution de 1997, où les lois étaient beaucoup moins strictes. Les «organismes indépendants» qui jouent une sorte de police politique, les commissions qui surveillent l’application des lois, deviennent la bête noire du PPP et sont accusé par lui de faire le jeu de l’armée.

Le départ de Samak relève quasiment du vaudeville. Passionné de cuisine, il donne des cours à la télé où il présente ses meilleures recettes… moyennant rémunération. Or un Premier Ministre ne peut exercer d’autres fonctions pour lesquelles il reçoit un salaire. La Cour constitutionnelle lui ordonne de démissionner.

Le gouvernement du beau-frère de Thaksin

La coalition élit alors comme Premier Ministre… nul autre que le beau-frère de Taksin, Somchai Wongsawat. Nous sommes le 9 septembre 2008. Il n’en fallait pas plus pour que le PAD redescende dans la rue et accentue sa contestation. Les chandails jaunes sont partout et le pauvre Somchai a bien du mal à gouverner. Les «Jaunes» s’emparent alors des deux aéroports et les bloquent pendant une semaine, ce qui coûta fort cher à l’économie thaïlandaise, déjà mal en point à cause de la crise économique mondiale. Il se passa alors une sorte de putsch judiciaire, qui mit fin à cet imbroglio politique. La nouvelle Constitution, votée sous le régime militaire, stipule qu’un parti politique peut être dissous si un seul de ses responsables est reconnu coupable de fraude électorale. Le 2 décembre 2008, la Cour constitutionnelle prononce la destitution de Somchai et son inéligibilité pendant 5 ans. La même cour bannit à vie de la politique 29 députés du PPP parce que des irrégularités ont eu lieu lors des dernières élections. Somchai est remplacé au poste de Premier ministre par Chaovarat Chanweerakul, qui assurera l’intérim. Les députés du PPP se regroupent dans un parti allié, le Puea Thai.

La coalition démocrate

Pendant ce temps, des tractations s’exercent en coulisses pour former des alliances qui permettraient de changer la donne. Le Parti démocrate réussit à gagner à sa cause des petits partis et un groupe de dissidents de l’ex-PPP. Abhisit Vejjajiva devient alors Premier ministre, le 15 décembre 2008. Chef du plus vieux parti de Thaïlande bien ancré dans la tradition, le nouveau Premier Ministre est un homme instruit qui fait bonne figure. Il a l’écoute de la bourgeoisie, de l’armée et du Palais Royal. Il gouverne de façon démocratique.

Les manifestations des rouges

Mais les «chemises rouges» ne l’entendent pas ainsi et descendent dans la rue. Ce sont les pro-Takhsin qui se nomment «l’Alliance démocratique contre la dictature». Forts des majorités qu’ils ont obtenues dans les précédentes élections, ces manifestants, tous issus de la classe populaire, paysans et ouvriers, petites gens des rues de Bangkok, demandent la démission immédiate du Premier Ministre dont ils jugent l’élection antidémocratique. Ils ne pardonnent pas le coup d’état de l’armée qui les a privés de leur chef charismatique Thaksin Shinawatra, dont ils réclament le retour à cor et à cri.

La société thaïlandaise est profondément fracturée. D’un côté, les «Rouges», issus de la classe populaire et qui forment la base électorale de Thaksin, sont convaincus de leur bon droit. C’est la voix du peuple qui s’exprime enfin! dans uns société où ils n’avaient pas droit de parole, l’armée ayant tout géré depuis l’abolition de la monarchie absolue (1933) jusqu’à la Révolution des étudiants en mai 1992. De l’autre, les «Jaunes» dont la fidélité au roi et à l’institution de l’armée est indéfectible, qui rejettent le populisme de Thaksin, sa façon peu démocratique de gouverner et la corruption dont il aurait fait montre. Ces «Jaunes» sont issus des classes moyennes et des élites.


Les enjeux actuels

Le Gouvernement doit faire face à trois crises dont deux majeures : la crise économique qui touche le pays qui vit beaucoup des touristes qui s’en éloignent faute de moyens financiers mais aussi par crainte des troubles politiques. L’intégrisme musulman qui sévit dans le sud du pays et tue quotidiennement des citoyens. Enfin une mésentente chronique avec son voisin cambodgien concernant la possession d’un temple khmère, le Prae Vihar, qui refroidit les relations entre les deux pays.

Chiang Mai, le 2 juillet 2009